Après avoir longuement éprouvé le poids des rédactions hiérarchisées au sein de la presse écrite avec le magazine Elle ou à la télévision en tant que chroniqueuse sur Canal+, Lauren Bastide a puisé dans la fraîcheur d’un média digital sachant concilier flexibilité et profondeur pour lancer « La Poudre ». L’émission se présente sous la forme d’une série d’interviews en podcast produites par Nouvelles Ecoutes, son studio co-créé ex-nihilo avec le journaliste Julien Neuville. Bien développé aux Etats-Unis, encore méconnu en France, le format audio longue durée du podcast est perçu par certains comme l’avènement de la radio 3.0. Pour Lauren, il signe aussi le retour à un certain classicisme qui rappelle l’époque radiophonique à la « Jacques Chancel » grâce à son ton intimiste et à son respect de l’interviewé. Il capitalise moins sur les chiffres d’audience que sur l’accumulation d’une communauté attentive et fidèle. Celle-ci recherche le plus souvent une forme d’engagement que la journaliste et entrepreneuse exprime pleinement à travers le parti pris radicalement féministe de « La Poudre ». N’y sont accueillies que des femmes, qu’elles soient artistes, intellectuelles ou politiques afin de partager, avec bienveillance mais sans complaisance, leur parcours de femme au XXIe siècle. Rencontre.
Quels sont les contours des activités de Nouvelles Ecoutes ?
lauren bastide: Notre studio de production digitale a pour modèle Gimlet Media aux Etats-Unis. Comme eux, nous allons proposer plusieurs podcasts avec des contenus éditoriaux riches et indépendants dans la mesure où Julien Neuville et moi sommes journalistes. Deux d’entre eux ont été lancés le 1er décembre : « La Poudre », mon émission féministe, et « Banquette », des discussions sur le monde du football présentées par Selim Allal. Le démarrage fut dingue avec des chiffres que je ne m’attendais pas à atteindre. Co-diriger Nouvelles Ecoutes pousse également à porter d’autres casquettes comme l’élaboration de projets de brand content, l’accompagnement d’autres podcasts. C’est une fonction de productrice à part entière.
Donnes-tu davantage libre-court à tes ambitions journalistiques qu’auparavant ?
lb: C’est la première fois que je suis mon propre chef ! Au sein du Elle, j’occupais un poste de Rédactrice en chef, mais son appartenance à un groupe en faisait une machine lourde à bouger. Au sein de Nouvelles Ecoutes, entre l’idée et la réalisation, il n’y a que moi et je l’apprécie.
N’as-tu pas le sentiment de poursuivre un parcours médiatique inversé en passant d’activités établies et grand public à des formes plus indépendantes et alternatives ?
lb: Je n’aurais pas pu lancer Nouvelles Ecoutes il y a 10 ans. Il m’a fallu ce temps pour comprendre ce qui résonnait avec mes valeurs. A 25 ans, je confondais ambitions professionnelles et accomplissement personnel. Aujourd’hui, j’ai l’impression de reprendre les choses à zéro dans une start-up où je ne gagne pas ma vie, mais je vais là où j’ai envie d’aller, où je pense servir.
Avec Julien Neuville, vous constituez un binôme à part entière ?
lb: C’est un journaliste brillant que j’ai rencontré lorsqu’il était jeune journaliste au Figaro. Il a réussi parce que c’est quelqu’un de travailleur, qui absorbe vite les codes des milieux qu’il pénètre. Il est devenu une signature incontournable de M Le Monde, du Elle, et de l’Equipe en étant capable de mener une enquête de fond sur l’industrie du luxe comme l’interview passionnante d’un patron de club de football. Nous étions dans la même perspective de créer un podcast. Nos univers d’émissions féminisme vs. football peuvent paraître antinomiques mais nos démarches sont quasi-identiques dans la manière de mettre l’humain en avant. L’équipe comporte aussi Zisla Tortello que j’ai recrutée il y a 5 ans. C’est à la fois mon bras droit, ma confidente.
Un podcast sert à découvrir un parcours de vie, pas à faire le buzz ou à créer la polémique
Ton réseau professionnel d’avant trouve-t-il écho au sein de Nouvelles Ecoutes ? Je pense à d’anciennes co-équipières comme Sophie Fontanel.
lb:
Je ne répèterai jamais assez ce que ce que le Elle m’a apporté. Je le considère comme une famille. Mais comme dans toutes les familles, j’en ai gardé les valeurs pour mieux m’en affranchir. C’est un processus de maturité normal. On épouse corps et âme les enseignements d’un endroit, et puis on les remet en cause en grandissant. Avec Sophie Fontanel, on a créé le DailyElle qui a bien marché. On ne travaille plus ensemble mais on est devenues amies. J’ai un profil moins artistique, je me découvre plus entrepreneuse. Par contre, je me rends compte à quel point les milieux de la nuit et de la création m’ont nourri. Je suis restée engluée dans la bande du Baron pendant 4 ans comme la « journaliste de service » qui les suivait à Miami Art Basel, aux festivals de Cannes ou Cabourg. Ce noyau drainait artistes, femmes muses, une véritable Movida. Aujourd’hui, je me retrouve enfin les mains libres pour créer des choses avec des personnes comme Maroussia Rebecq au sein de son project space Le Coeur. Lionel Bensemoun m’a demandé d’intervenir au Consulat en septembre. On a spontanément monté une émission de radio féministe et c’était génial. Je l’ai mise en ligne le 24 décembre.